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Chief Audu Ogbeh, ministre de l’Agriculture et du Développement rural

« Le Nigeria a oublié l’agriculture »

Publié le 31/08/2016 - 14:13

Le Nigeria regrette d’avoir négligé l’agriculture au profit du pétrole. Le ministre de l’Agriculture donne les causes du déclin et divulgue ses pistes, avec en point d’orgue une montée en puissance du conseil agricole.

 

Afrique Agriculture : Comment évaluez-vous le secteur agricole nigérian aujourd’hui ?

Chief Audu Ogbeh : Pour être sincère, on a l’impression que l’agriculture au Nigeria se trouve à l’état primitif. On a le sentiment que nous sommes à nos débuts. Physiquement le Nigeria a fait des progrès, mais en réalité nous n’avons pas avancé. Prenez des pays comme la Malaisie, la Chine et l’Inde. En dépit de leur progrès, ces pays n’ont jamais oublié d’investir dans le secteur agricole. C’est ce que le Nigeria n’a pas fait.

C’est-à-dire ?

Chief Audu Ogbeh, ministre de l’Agriculture et du développement rural du Nigeria. Photo : News Agency
C. A. O. : Allez dans n’importe quel foyer aujourd’hui au Nigeria, tout ce que vous y trouverez est importé. Tout ce que nous consommons à commencer par le riz, le lait et le sucre sont importés. Depuis 1986, j’ai toujours critiqué l’introduction du programme d’ajustement structurel (PAS ) au Nigeria. Ce programme est à l’origine de la dévaluation du naira, notre monnaie locale. Il a encouragé le capitalisme. Ainsi, les paysans ont abandonné les champs pour devenir entrepreneurs.

Ce développement a-t-il vraiment défavorisé l’agriculture ? 

C. A. O. : Oui, il a aussi affecté l’élevage de bétail. Nous n’avons pas encore fait de recensement –nous le ferons cette année – mais on parle d’une estimation de moins de 15 millions de têtes aujourd’hui dans le pays. C’est très insuffisant. Le reste est importé du Mali, du Sénégal, du Tchad, du Cameroun. Le plus pathétique, c’est que nos vaches ne produisent qu’un litre de lait par jour à cause de la mauvaise qualité des herbes qu’elles broutent. Alors que les vaches du Brésil, d’Argentine et d’Australie ont accès à de l’herbe à 28 % de protéines brutes.

Que voulez-vous dire ?

C. A. O. : Il y a deux ans, quand je passais vers Gamboru-Ngala, dans le Nord-Est, je voyais des vaches qui mouraient par manque de d’eau et d’herbe. Une vache a besoin d’au moins 40 litres d’eau par jour. Hélas, nos vaches n’ont pas accès à l’eau, d’où la mauvaise qualité des viandes et du lait. Raison pour laquelle nous continuons d’importer le lait à hauteur de 1,3 milliard de dollars par an. Aujourd’hui, nous avons des difficultés avec le pétrole. Donc, nous n’aurons plus assez de dollars pour importer des produits comme le lait. Résultat, suite à notre négligence, nous ne pouvons pas satisfaire nos besoins. Notre population augmente régulièrement. Dans quatre ans, le Nigeria aura 200 millions d’habitants. D’ici 50 ans, le Nigeria sera le troisième pays le plus peuplé du monde. Il est donc temps que nous préparions l’avenir. Je ferai de mon mieux dans ce sens.

Quelle est aujourd’hui la position du Nigeria dans le domaine des cultures d’exportation ?

C. A. O. : Les années 1980 étaient l’époque glorieuse de l’agriculture au Nigeria. À l’est du pays, nous avions 17 000 hectares de palmiers entre Akwa-Ibom et Cross River. L’Ouest était reconnu pour son cacao à tel point que notre pays était le numéro un sur le continent. Aujourd’hui, nous sommes troisième derrière le Ghana et la Côte d’Ivoire qui avoisine deux millions de tonnes. Cette année, le prix du cacao est d’un peu plus de 3 dollars le kilo. Nous voulons reprendre notre position sur le continent et si possible dans le monde. Même la Tanzanie, le Kenya et le Mozambique sont devant le Nigeria en matière agricole. Ceci est inacceptable d’autant que nous disposons des atouts pour être leader.

Comment expliquez-vous le fait que les produits nigérians, notamment le coton, valent moins chers sur les marchés ?

C. A. O. : Vous avez raison, le coton cultivé au Nigeria vaut 30 % moins cher que celui qui est produit au Bénin. c’est à cause de l’emballage. Les sacs que nous utilisons détruisent les cultures. Le sac en polyéthylène affecte la qualité des produits. Donc, nous voulons réintroduire les sacs appropriés. Malheureusement, les usines de fabrication de sacs de Jos au centre du pays et celle de Badagry dans le Sud-Ouest ont été fermées quand nous avons découvert le pétrole. 

Et il y a le problème de la jeunesse…

Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus retourner à la terre. Cela, alors que notre demande alimentaire augmente chaque jour. Dans 35 ans, l’alimentation de notre pays sera un grand problème. Ce n’est pas tout, nous avons 60 millions de personnes à nourrir au nord du pays. Si vous vous rendez à Sokoto, Jigawa et Borno, tous au nord, vous verrez des camions qui déchargent des produits alimentaires venant du Tchad, du Niger, de Mauritanie, du Soudan, du Cameroun, de Libye. Nous ne produisons pas assez. Mais nous ferons de notre mieux parce que si nous ne produisons pas maintenant, nous allons mettre en danger les générations à venir.

Que faire alors ?

C. A. O. : Dieu merci, nous n’avons plus assez de devises étrangères pour les importations. J’en suis particulièrement heureux parce que la folie des importations va cesser. Il y a des gens qui importent même des pizzas tous les jours, livrées par la compagnie aérienne British Airways. Le Nigeria est le plus grand consommateur de champagne après la France…

Et alors… 

C. A. O. : Ma stratégie est claire : faire pousser cinq millions de cacaoyers chaque année ! Aujourd’hui, le gombo est recherché en Europe et aux États-Unis. Pourtant, nous ne produisons que dans un ou deux États. Pour ce qui est du cacao, je veux faire en sorte que le produit soit cultivé dans 23 États, y compris les États du Nord et du centre. Pour les zones où la noix de cajou est cultivée, nous visons deux millions d’arbres par an au cours des quatre prochaines années. Notre objectif est de surpasser la Tanzanie, la Côte d’Ivoire et le Mozambique. Je suis moi-même cultivateur de noix de cajou et j’ai présentement 14 000 arbres dans mon champ. Nous exportons aussi beaucoup de graines de sésame. Le mois dernier, les Américains en ont retourné deux conteneurs parce qu’ils contenaient trop de sable. C’est vous dire que nos paysans traitent mal leurs produits. C’est aussi pourquoi nos récoltes sont achetées à vil prix. Nous allons mettre de l’ordre dans tout cela.

Les services de vulgarisation agricole n’existent presque plus au Nigeria. Qu’allez-vous faire à ce sujet ?

C. A. O. : Notre ambition est de créer des bureaux de service de vulgarisation agricole dans l’ensemble des 774 administrations locales que compte le Nigeria. Nous sommes en contact avec certains gouverneurs en ce sens. Certains nous ont fait savoir qu’ils ont déjà des structures sur place. Ce projet nous tient à cœur parce qu’un agriculteur doit être éduqué. Ici, nous avons un agent de vulgarisation agricole pour 3 000 agriculteurs. Ce qui n’est pas assez. Donc, si nous recrutons des agents de vulgarisation agricole, nous allons les former et les équiper. Nous étions récemment au Nebraska et en Géorgie pour voir comment les paysans s’organisent. Ils plantent du maïs avec 6 à 7 centimètres de distance sur une ligne. Sur un hectare, ils récoltent entre 93 000 et 95 000 plants de maïs. Or, ici, l’agriculteur plante en désordre et les herbes envahissent tout le maïs. Conséquence, les paysans américains obtiennent 15 tonnes par hectare contre 10 tonnes ici.

Nos instituts de recherche ne fonctionnent presque plus en raison d’un manque de financement. Comment allez-vous les repositionner ?

C. A. O. : Le problème au Nigeria, c’est qu’il y a beaucoup de changement de politiques. Vous mettez en place un bon projet, quelqu’un d’autre arrive au pouvoir et c’est la fin de l’initiative. Nous avons trois universités de l’agriculture à Abeokuta dans le Sud-Ouest, Umudike dans le Sud-Est et Makurdi au centre. Je suis en train de ramener ces universités à la base parce qu’elles sont en train de se perdre. Elles se sont refugiées sous le ministère de l’Éducation alors qu’elles ne sont pas reconnues par la commission nationale des universités. Je ne comprends pas pourquoi et comment une université agricole enseigne la gestion, le droit et la comptabilité. Ce n’est pas normal.

Et alors, qu’allez-vous faire ?

C. A. O. : Il y a présentement une commission dans mon ministère qui est chargée de gérer les universités de l’agriculture. Elles doivent en principe travailler pour le ministère de l’Agriculture. Nous voulons faire en sorte que dorénavant les diplômés de ces universités viennent vers nous pour des crédits afin de s’installer à leur propre compte. C’est la seule manière pour ramener les jeunes à la terre. Je suis convaincu que si ces universités et toutes les institutions agricoles sont bien gérées et mieux financées, nous allons réduire considérablement notre facture d’importation de produits alimentaires. Par exemple, l’université de Makurdi dispose de 9 000 hectares de terre avec des enseignants qualifiés. C’est vous dire que ces institutions disposent des atouts pour réussir, il suffit seulement d’y investir. 

Votre prédécesseur, Akinwumi Adesina, s’était embarqué sur le projet de distribution de téléphones portables aux agriculteurs pour faciliter l’accès aux engrais. Est-ce que ces téléphones sont toujours disponibles ?

C. A. O. : Mon prédécesseur avait eu une bonne idée. Il essayait de trouver un moyen pour que les agriculteurs puissent accéder directement aux concessionnaires agroalimentaires. Mais notre administration voit la chose d’une autre manière. Nous voulons développer le service de vulgarisation agricole. Une sorte d’expansion dans toutes les administrations locales du Nigeria. Donc, le bureau de l’agent de vulgarisation agricole servira de point de rencontre entre le paysan et le secteur privé.

Qu’est-ce à dire ?

C. A. O. : Quand vous avez besoin d’engrais, il suffit de vous rendre dans votre administration locale. L’agent de vulgarisation doit être en mesure de garantir la qualité de ce que vous obtenez. Si nous arrivons à réorganiser ce secteur de manière adéquate, d’ici la fin de l’année nous n’aurons pas besoin d’importer de l’engrais, car nous en aurons assez, même pour l’exportation. Les compagnies comme Notore et Indorama en produisent assez. Le problème que nous aurons, ce sont les intermédiaires qui ne sont jamais sincères. Donc, vous ne pouvez pas totalement éliminer la corruption. Aussi, certains États, qui voient le business d’engrais comme une affaire juteuse, continuent d’importer de l’engrais. Sinon, l’idée de mon prédécesseur était bonne. Elle a marché dans plusieurs États, mais s’il y a eu des problèmes dans certaines régions.

 

 

500 ha de ricin, des alevins, du riz… La belle ferme du président Chief
Chief Audu Ogbeh a certes réussi dans la politique, mais l’agriculture reste sa passion. Une passion qu’il a développée à l’âge de cinq ans quand il suivait son père dans sa ferme. Ainsi, après sa licence en français de l’université Ahmadu Bello de Zaria, il se lance dans l’aviculture. Ainsi est née sa ferme Efugo farm situé à Makurdi dans l’État de Benue au centre du Nigeria, son État d’origine. En 1982, il est nommé ministre. Après le coup d’état de 1983 et sa détention, il retourne à Otukpa, son village natal. Il cultive la noix de cajou. Et son champ compte 14 000 anacardiers. Audu Ogbeh est le premier Nigérian à installer une usine de traitement de riz sans sable ni caillou en 1986 à Makurdi. Il a même créé une coopérative de 120 agriculteurs dans son village et distribué des grains de cajou gratuitement à tous les membres de la coopérative. Aujourd’hui, les membres de la coopérative font au moins une recette de 30 millions de nairas par an dans la vente de noix de cajou. En 2004, il a mis en place une usine d’huile de ricin qui selon lui est la première en Afrique. Même en tant que ministre, Audu Ogbeh continue ses activités agricoles dans sa ferme Efugo farm qui produit un million d’alevins chaque mois, de la volaille, des noix de cajou et les grains de ricin plantés sur 500 hectares…

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