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78 000 paysans ont déjà dû fuir leurs terres

Nigeria : l’insécurité gagne le secteur agricole

Publié le 04/11/2020 - 10:20
Des paysannes fuient leurs terres, aidées par des militaires, au nord du pays. Photo : Daouda Aliyou

Au nord du Nigeria, les agriculteurs sont devenus la cible des terroristes et autres bandits armés. Plus de 78 000 d’entre eux ont déjà dû abandonner leurs fermes. Un drame qui menace la production alimentaire du pays.

Les membres de la secte islamiste Boko Haram, qui sèment la terreur dans plusieurs parties du Nord du Nigeria depuis 2009, ont récemment dirigé leurs attaques contre les agriculteurs qui travaillent dans leurs champs. La dernière attaque remonte à mi-septembre 2020, lorsque ces islamistes ont attaqué trois villages de Borno dans le Nord-Est du pays. Dix personnes ont été tuées et cinq agriculteurs enlevés alors qu’ils travaillaient dans leurs champs. Cette dernière attaque porte à dix-huit le nombre d’attaques contre les agriculteurs pour la seule année 2020.

Depuis 2015, année de l’arrivée du président Muhammadu Buhari au pouvoir, 1,5 million de personnes ont abandonné leurs résidences dans le Nord pour se réfugier dans des camps érigés par les autorités. Parmi eux se trouvent près de 78 000 agriculteurs de Borno, Katsina, Taraba, du Plateau et d’autres États du Nord. Ces paysans sont obligés d’abandonner leurs terres à la suite d’attaques de terroristes, bandits armés ou autres bergers foulanis. Selon le bureau nigérian des statistiques, avant leur déplacement, ces agriculteurs se livraient à l’agriculture et à la pêche, cultivaient 56 000 hectares de terres et récoltaient en moyenne 1,5 tonne de céréales par hectare. Mais depuis 2015, ils ont constamment perdu leurs produits à la suite des attaques des insurgés.

Abubakar Sugun, agriculteur de 52 ans de la région de Kukawa, au nord, s’est réfugié dans le camp de Gubio. « Les insurgés de Boko Haram ont non seulement tué mes parents et amis, mais ils ont incendié notre maison et nos terres qui portaient encore des produits à récolter, explique-t-il. Nous avons dû fuir avec ma femme et mes cinq enfants. » Abubakar Sugun déplore le fait de ne pas pouvoir retourner à Kukawa pour cultiver ses terres (2,5 hectares).

Au camp de Bakassi, Fadmatu Musa, agricultrice de Gwoza et mère de sept enfants, explique qu’avant le début de l’insurrection en 2014, elle produisait « vingt-quatre sacs d’arachides, de haricots et de graines de sésame sur sept hectares ». Mais, elle a été « obligée de les abandonner ». Tout en déplorant sa perte, Abubakar Musa, 59 ans, réfugié à Pulka, une communauté frontalière avec le Cameroun, explique, lui, que pendant ses six années passées dans le camp de Bakassi, il aurait pu produire plus de 24 tonnes de sorgho, de haricots et d’arachides. « Chaque année, avant le début de l’insurrection en 2014, je produisais 40 sacs de haricots, d’arachides et de sorgho sur deux hectares de terres », argumente-t-il. Le directeur du camp de Bakassi, Ibrahim Salihu, confirme que « plus de 6 600 agriculteurs » sont internés dans le camp qu’il dirige.

70 000 hectares de terres arables abandonnés

Dans l’État de Taraba au centre du Nigeria, plus de 16 000 agriculteurs se trouvent dans divers camps, tandis que d’autres se réfugient ailleurs. Le vice-président de l’association des riziculteurs du Nigeria, Daniel Gani, regrette que leur rêve de battre le record de production de riz de l’année dernière « ne soit plus réalisable ». Car, poursuit-il, « plus de 80 % des agriculteurs sont déplacés ». En somme, tous s’accordent pour affirmer que l’insécurité affecte les activités agricoles du pays, en particulier dans les zones du Nord.

Le président de l’Association des agriculteurs du Nigeria, Kabir Ibrahim, pense qu’il serait difficile de quantifier les pertes que les agriculteurs subissent chaque année depuis 2014 en raison de l’insécurité. « La plupart des agriculteurs ne peuvent pas se rendre dans leurs fermes et ne pourront pas le faire tant que la situation sécuritaire ne s’améliorera pas, explique-t-il. Toutes les terres agricoles situées à plus d’un kilomètre du siège des communes où vivent ces agriculteurs ne sont plus accessibles. » Ces derniers « risquent d’être enlevés, tués ou brutalisés par des bandits ».

Selon le Bureau nigérian des statistiques, pas moins de 70 000 hectares de terres arables ont été abandonnés dans les États et les régions touchés. Ces défis constituent de sérieuses menaces pour la suffisance alimentaire au Nigeria. Même si le gouvernement remue ciel et terre pour neutraliser les terroristes et les bandits qui rendent la vie dure aux agriculteurs.

Résultat, l’année 2021 risque d’être très difficile pour le Nigeria sur le plan alimentaire. Le pays le plus peuplé du continent pourrait même être en proie à la famine si la situation d’insécurité perdure.

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