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Cultivée en Afrique

L’Artemisia contre le paludisme

Publié le 05/07/2019 - 15:05

Elle se répand comme une traînée de poudre. Pourtant, ici, pas de perlimpinpin mais une armoise, l’Artemisia annua L., une simple plante annuelle partie à la conquête de l’Afrique. Des hauts plateaux éthiopiens jusqu’aux rivages du Sénégal, un réseau de chercheurs et de médecins promeut l’usage de la plante entière pour lutter contre le paludisme. Une phytothérapie peu coûteuse accessible au plus grand nombre.

Originaire de Chine, l’Artemisia y est utilisée depuis deux mille ans comme antipaludéen dans la médecine traditionnelle. Un de ses principes actifs, l’artemisinine, isolé par la scientifique chinoise Tu Youyou en 1972, entre dans la composition des ACT, thérapies combinées à base d’artemisinine. Ces médicaments de plusieurs molécules de synthèse, recommandés par l’OMS depuis le début des années 2000, sont efficaces contre le plasmodium falciparum, le plus courant et le plus mortel des parasites causant le paludisme simple.

Cependant, après une période de reflux, la maladie progresse toujours, laissant l’Afrique, le continent le plus touché, et surtout les populations les plus vulnérables, dans une grande détresse. Car le paludisme ne se contente pas de tuer ses victimes, il appauvrit tout un continent. Ce sont, par exemple, des centaines de milliers d’agriculteurs qui ne peuvent plus cultiver leurs champs quand ils font des crises à l’arrivée de la saison des pluies.

C’est pourquoi, le professeur Guy Mergeai, enseignant chercheur à Gembloux Agro-Bio Tech, faculté des sciences agronomiques de l’université de Liège en Belgique,

Sachet de poudre d’Artemisia produit à Tivouane, au Sénégal. Prise en tisane, cette poudre permettrait de lutter contre le paludisme. Photo : Maison de l'Artemisia
se lance en 2011 dans des travaux de recherche sur l’Artemisia annua L. Prise en tisane, cette espèce aurait des vertus préventives et curatives de la maladie dont il entend parler par un ancien de Gembloux, dirigeant de l’ONG Iday International.

« Mettre à la disposition des agriculteurs un remède simple et efficace contre le paludisme constituait pour moi une contribution importante pour améliorer leurs performances et lutter contre le sous-développement », explique Guy Mergeai alors président de l’ONG Gembloux (devenue Eclosio) d’aide au développement rural. De fil en aiguille, les liens se tissent avec le professeur Pierre Lutgen de l’association luxembourgeoise IFBV, coordinateur du réseau Bel-Herb qui promeut l’usage des plantes médicinales et qui, depuis 2008, soutient la recherche sur l’Artemisia.

La Maison de l'Artemisia

En effet, si l’Artemisia annua se développe bien en climat tempéré, elle n’est pas adaptée aux conditions tropicales. Grâce à un partenariat avec l’École nationale supérieure d’agriculture de Thiès au Sénégal, l’identification des variétés démarre en 2011 par un travail de sélection sexuée classique. « Les graines d’écotypes sauvages cultivés en Europe n’étant pas adaptées, les sélections se font surtout à partir de semences produites au Kenya par des plantes "échappées de culture", précise Guy Mergeai. Par la suite, nous avons travaillé avec des semences provenant de Gambie puis directement avec la descendance de la variété Apollo de la société Médiplant. » À partir de janvier 2012, ces génotypes sont introduits dans un schéma de sélection massale à Thiès pour obtenir des variétés se reproduisant en fécondation libre. Les semences obtenues ont été distribuées gratuitement aux structures demandeuses qui ont refait des sélections localement.

Ces travaux sont financés par les fonds propres du laboratoire du professeur Mergeai, et depuis 2013 par des subsides de la Maison de l’Artemisia (ex-More for Less). Créée par Lucile Cornet-Vernet, cette association organise des pôles de compétences avec des agronomes, des chercheurs, des médecins, des pharmaciens et des agriculteurs. Toutes engagées dans la recherche, la culture et la diffusion de la plante à des fins thérapeutiques, les Maisons de l’Artemisia sont des centres de ressources et de formation. Dotée d’une charte de bonnes pratiques instituant un label de qualité, des formations payantes et la commercialisation des produits à prix abordables, l’association entend rendre financièrement autonome tous les centres en deux ans. « La tisane est six fois moins chère que les médicaments. Nous voulons mettre un plant d’Artemisia dans chaque famille en Afrique », explique Lucile Cornet-Vernet.

Un pas important dans cette voie est franchi en 2015, lorsque l’association française Le Relais décide de lancer un projet maraîcher de production de l’Artemisia sur huit hectares au Sénégal, près de Thiès. Elle finance l’atelier de transformation des cultures en produits aux normes européennes (tisanes ou gélules). La Maison de l’Artemisia y a mis au point son guide de culture. Par ailleurs, la transformation des produits doit répondre aux normes de production des plantes médicinales de l’OMS et de chaque pays avec une posologie stricte à respecter.

Les semences ne sont distribuées qu’aux personnes ayant suivi une formation, sous l’appellation générique « yenpesokh », semences de Yendane. « Les lignées sélectionnées proviennent de variétés hybrides à forte teneur en artemisinine. Dans les quelques analyses que nous avons faites, elles en contenaient autour de 1 % », précise Guy Mergeai.

La culture de l’Artemisia annua sur les terres du projet maraîcher de Tivouane, près de Thiès au Sénégal. Photo : Maison de l'Artemisia

Sensibilisations et recherches

Audrey Souchez, chef de projet agronomie de la Maison de l’Artemisia à Paris, explique : « La plante est très sensible au stress hydrique. Elle demande une parfaite maîtrise de l’eau du semis à la récolte, soit un cycle de six mois. Il faut arroser tous les jours, apporter un compost riche en azote mais sans carence en phosphore ni en potassium. Au Sénégal, en zone et saison sèche, on coupe la plante à 30 cm au bout de deux mois pour une première récolte puis elle continue sa croissance jusqu’à 1,20 m pour une deuxième récolte. La densité optimale est de 20 000 plants à l’hectare (deux par m²). En moyenne, un hectare produit 28 tonnes de plantes soit 7 tonnes de matière sèche. Un gramme de semences peut donner 10 000 plants. »

L’Artemisia annua est très productive et bien adaptée à la culture maraîchère, en diversification sur de petites surfaces déjà consacrées aux cultures vivrières par exemple. Elle ne nécessite ni investissements, ni intrants, ni structures lourdes de transformation. C’est le modèle choisi par la ferme agroécologique la Providence, au Bénin. Située à Banighé, au nord de Porto-Novo, elle est autonome en graines et liée à l’école agricole Laudato Si. Les enfants y apprennent l’agroécologie et la permaculture. Fondées par le père Nestor Attomatoun, elles sont gérées par Marie et Aymeric de Cussac, ingénieurs agronomes qui mènent, avec la Maison de l’Artemisia, de nombreuses actions de sensibilisations dans le village.

À Baningbé, les enfants de l’école agricole Laudato Si apprennent l’agroécologie et la permaculture. Photo : Maison de l'Artemisia

Alors qu’à Genève, l’OMS maintient sa recommandation de ne pas utiliser l’artemisinine en monothérapie orale, les recherches se poursuivent aussi sur une autre espèce d’armoise, Artemisia Afra qui contiendrait des principes actifs antipaludisme, sans artemisinine. Car à l’est, en RDC, au Sud Kivu, les Maisons de l’Artemisia et les centres de santé de Goma dirigés par le docteur Pascal Gisenya Bagire et de Lubile sous la houlette du docteur Jérôme Munyangi, sont très actifs. Une collaboration avec le bureau Afrique de l’OMS est en cours.

Aujourd’hui, il y a 42 Maisons de l’Artemisia dans plus de 19 pays d’Afrique et dix sont en projet. Le berceau de l’humanité pourrait bien encore une fois essaimer partout dans le monde.

 

« Personne ne devrait mourir du paludisme » - Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS

« Personne ne devrait mourir du paludisme. Mais le monde fait face à une nouvelle réalité avec la stagnation des progrès… Nous reconnaissons qu’il nous faut agir différemment, dès maintenant. Nous lançons donc un plan contre le paludisme, pour mener une riposte globale, centré sur les pays et dirigé par eux, et rendre notre action plus efficace là où elle compte le plus, au niveau local », expliquait le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, lors de son appel à l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2018.

Pour la seconde année consécutive, le rapport annuel de l’OMS met en évidence un palier dans le nombre des personnes touchées par le paludisme : 219 millions en 2017, contre 217 millions en 2016. Alors qu’auparavant, leur nombre baissait régulièrement, passant de 239 millions en 2010 à 214 millions en 2015.

En 2017, environ 70 % des cas de paludisme (151 millions) et des décès (274 000) se concentraient dans onze pays dont dix en Afrique : Burkina Faso, Cameroun, Ghana, Mali, Mozambique, Niger, Nigeria, Ouganda, RDC et Tanzanie. Avec l’Inde, ces pays ont notifié 3,5 millions de cas de paludisme de plus en 2017 par rapport à 2016. Le rapport décrit malgré tout quelques progrès. Le Rwanda a ainsi recensé 436 000 cas de moins en 2017 qu’en 2016. L’Éthiopie a quant à elle signalé une baisse marquée de plus de 240 000 cas sur la même période.

Dans ce même rapport, l’OMS indique que les objectifs fixés par la stratégie mondiale de lutte 2016-2030 consistant à réduire d’au moins 40 % la morbidité et la mortalité dues au paludisme d’ici 2020 (90 % d’ici 2030) ne sont pas en voie d’être atteints. Pour les réaliser, les investissements devraient atteindre au moins 6,6 milliards de dollars par an d’ici 2020, soit plus du double de la somme disponible aujourd’hui.

OMS - Intégrer la médecine traditionnelle

La stratégie 2014-2023 de l’OMS pour la médecine traditionnelle (MT) vise quatre grands objectifs : intégrer la MT aux systèmes nationaux de soins de santé ; en promouvoir la sécurité, l’efficacité et la qualité ; rendre disponible et accessible financièrement la MT aux populations pauvres ; en promouvoir un usage thérapeutique judicieux.

Le document rappelle que dans beaucoup de pays en développement, et surtout dans les zones rurales, les praticiens de la médecine traditionnelle et complémentaire (MC) sont les principaux prestataires de soins de santé, voire les seuls. Le nombre de pays d’Afrique dotés d’une politique nationale en la matière est passé de 8 en 1999-2000 à 39 en 2010. Sur la même période, ceux qui ont élaboré un plan stratégique national sont passés de zéro à 18. 28 pays se sont dotés de cadres réglementaires nationaux. Huit pays ont institutionnalisé des programmes de formation à l’intention des praticiens de MT/MC et treize ont élaboré des formations destinées aux étudiants en sciences biomédicales et en MT/MC. Ainsi, diverses universités de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du Sud, de RDC et de Tanzanie intègrent la MT aux programmes destinés aux étudiants en pharmacie et en médecine.

Trois questions à Lucile Cornet-Vernet, auteur du livre « Artemisia, une plante pour éradiquer le paludisme »

Quelles preuves avez-vous de l’efficacité des tisanes d’Artemisia annua contre le paludisme ?

LCV : Tout d’abord, c’est une thérapeutique contre le paludisme répertoriée dans tous les livres de médecine traditionnelle chinoise. Ensuite, de nombreuses études cliniques ou in vitro réalisées depuis 20 ans en Éthiopie, au Mozambique, en RDC, au Bénin, au Cameroun, au Sénégal… prouvent l’efficacité de la tisane. Puis, nous venons de publier une étude aux normes internationales réalisée en RDC sur près de 1 000 patients qui montre la supériorité thérapeutique de la tisane sur l’Artesunate-Amodiaquine, un ACT1.

Où en sont vos relations avec l’OMS et les instances publiques de santé en Afrique ?

LCV : Nous avons de bonnes relations avec l’OMS Afrique qui a un département de médecine traditionnelle. Le paludisme étant un fléau sur le continent, ils sont bien entendu très intéressés par une thérapeutique efficace, locale et bon marché, capable d’enrayer l’autre fléau qu’est la contrefaçon des médicaments. Dans chaque pays, nous demandons des autorisations de vente et rencontrons les instances de santé publique. Elles nous font un bon accueil. En RDC, nous avons même un partenariat avec le programme national de lutte contre le paludisme.

Quel bilan tirez-vous de la dernière projection du film documentaire Malaria Business à l’Assemblée nationale française en novembre dernier2 ?

LCV : Cette projection et le débat qui a suivi avec des scientifiques et des spécialistes des maladies infectieuses a mis le sujet sur la table. Il y a eu un consensus sur l’efficacité de la plante et la nécessité d’études aux standards internationaux. Certaines voix se sont élevées contre. En effet, une plante prise en tisane guérissant une maladie grave et que chacun peut avoir dans son jardin, cela va forcément à l’encontre de nombreux intérêts…

(1) ACT : Artemisinin-based combination therapy (thérapie combinée à base d’artémisinine). 

(2) Réalisé par Bernard Crutzen en 2017, ce film a été diffusé dans 80 pays par France 24 en novembre 2018, et par France Ô et la RTBF en octobre 2017.

« Artemisia, une plante pour éradiquer le paludisme », un livre utile mais qui dérange

Le paludisme (malaria), véhiculé par le moustique anophèle, tue annuellement plus de 500 000 personnes, dont 70 % d’enfants. C’est, avec la tuberculose et le sida, l’une des maladies les plus mortifères. La moitié de l’humanité vit en zone impactée par ce fléau et 200 à 500 millions de personnes sont infectées par an. L’Afrique subsaharienne dénombre la plus grande majorité des cas et 90 % de la mortalité.

En plus de semer la mort et d’infliger aux survivants des retards neurologiques irréversibles, le paludisme a des conséquences socio-économiques lourdes sur la croissance et le développement de nombreux pays. Les médicaments antipaludéens, à l’origine de problématiques effets secondaires et trop chers pour la plupart des malades, développent des mécanismes de résistance chez le parasite.

Pourtant une plante est connue depuis des millénaires en Chine pour soigner ce mal : l’Artemisia annua. Prise en tisane, elle guérit la maladie à 98 % et interrompt le cycle infernal de la transmission. Mais cette plante était, il y a peu encore, inconnue en Afrique, hormis par quelques tradipraticiens.

Le Dr Lucile Cornet-Vernet en entend parler un jour de 2012. Devant l’inertie, voire l’hostilité, des instances publiques de santé pour cette solution simple et à portée de tous, elle est saisie par un sentiment d’indignation et décide alors de faire de l’étude et de la dissémination de l’Artemisia le combat de sa vie.

Ce livre raconte aussi cette incroyable aventure médicale que ce combat d’une David en jupon contre le Goliath de la pharmacie et des organismes mondiaux, l’ignorance, le scepticisme, les interdictions et les réglementations.

Si le chemin est long jusqu’à l’élimination totale du paludisme, l’efficacité curative de ce remède naturel est la meilleure arme de propagande. La nouvelle se répand par le biais des patients guéris, et le Dr Lucile Cornet-Vernet essaime sans relâche des Maisons de l’Artemisia à travers le continent africain et bientôt en Asie et en Amérique du Sud. Elle est en passe de prouver que le pouvoir des plantes est le plus fort pour vaincre cette maladie.

Par Lucile Cornet-Vernet, avec Laurence Couquiaud. Éditions Actes Sud, 18 €

Du Cap à Addis Abeba - L’Artemisia afra en altitude

L’Artemisia afra est une espèce d’armoise originaire d’Afrique. Cette plante vivace pousse et se reproduit naturellement en conditions méditerranéennes et tropicales d’altitude, depuis Le Cap jusqu’à Addis Abeba. Elle fait déjà partie de la pharmacopée des tradipraticiens comme antiparasitaire en Afrique de l’Est et du Sud.

Même si elle est très peu fertile en basse altitude, des observations sont réalisées ponctuellement pour évaluer le pouvoir germinatif des graines dans différentes

régions du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Toutefois, elle se multiplie très bien par bouturage et par marcottage. La plante demande peu d’eau et chaque buisson donne 1 kg de plantes sèches.

En RDC, au Sud Kivu, des essais cliniques sur son efficacité dans le traitement de différentes maladies tropicales sont menés avec les autorités de santé du pays et les centres des Maisons de l’Artemisia de Goma. Une convention a été passée avec le département des médecines traditionnelles et des plantes médicinales du bureau Afrique de l’OMS à Brazzaville (Congo).

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